lundi 27 décembre 2010

Kérala - േകരളം

"On peut bien prendre des bateaux, des avions... 
Un jour, il faut rentrer chez soi."

Merci à vous tous d'avoir suivi mon parcours en Inde et au Népal. Je vous dis à bientôt pour de nouvelles aventures et en attendant vous souhaite d'excellentes fêtes de fin d'année.


mercredi 15 décembre 2010

Mumbai / Bombay - मुंबई

Et voilà le jour du départ arrivé ; il me faut quitter un lieu qui m'est cher aujourd'hui, dire au revoir à mes nouveaux amis, simples, drôles et attachants et dont l'accueil chaleureux, la manière d'être, généreuse et fraternelle et l'aide précieuse au quotidien ont facilité mon adaptation, tourner le dos enfin à cinq mois d'études et de vie des plus enrichissants.

Cependant, mon voyage n'est pas terminé et c'est à Bombay que commencent mes deux dernières semaines sur le sol indien.


Bombay, Mumbai ; deux noms à la consonance similaire mais de deux origines différentes pour désigner une seule et même ville, immense. Selon l'histoire officielle, Mumbai (nom officiel de la ville depuis 1995) est la contraction du nom d'une déesse autrefois vénérée ici « mumbadevi » avec le mot « aai » signifiant « mère » en marathi, une des langues locales. Aucun lien donc, malgré la ressemblance, avec le nom originel de Bombay qui lui provient d'une appellation portugaise : Bom Bahia, c'est-à-dire « la Bonne Baie ». Au XVIième siècle, les Portugais débarquèrent ici et y fondèrent un village... Cette époque semble bien loin. Avec ses 16 millions d'habitants (20 millions selon certains démographes), Mumbai est la plus peuplée des villes indiennes et s'est trouvé une place de choix dans le hit-parade des mégalopoles mondiales. Les experts estiment qu'en 2015 sa population dépassera les 27 millions d'âmes. Sa densité est effrayante : 29 000 habitants par km².


Capitale de l'Etat indien du Maharashtra et capitale industrielle et financière du pays, elle est aussi la plus grande fabrique de romances sirupeuses et de drames passionnels : dans les immenses studios de Bollywood se tourne l'inimitable cinéma indien. Depuis 1931, pas moins de 68 500 films ont été réalisés, soit environ 1 000 par an.

Bombay est gigantesque. Pleine de rêveurs et de travailleurs acharnés, d'acteurs et de gangsters, de chiens errants et d'oiseaux exotiques, d'artistes et de pêcheurs, de quelques millionnaires et de millions de personnes dans la misère (elle abrite un des plus grands bidonvilles d'Asie), la ville ne cesse d'étendre ses ramifications ; elle se transforme à une vitesse folle et offre un concentré de paradoxes et de contrastes dont l'Inde contemporaine regorge. Gandhi lui-même était à cette image, il attirait des foules impressionnantes mais avait horreur d'être adulé, sa voix à peine audible délivrait un message retentissant aux quatre coins de l'Inde, message pouvant paraître traditionaliste mais pourtant d'une grande modernité.


Les sept îles de Mumbai, ne formant plus qu'une aujourd'hui, furent à partir de 200 ans avant JC le refuge de nombreux pêcheurs Koli. Les dynasties hindoues prirent leur contrôle au VIième siècle et le gardèrent jusqu'à ce que les Musulmans ne les envahissent au XIVième siècle. Le territoire fut ensuite cédé au Portugal, en 1534. Plus d'un siècle plus tard, en 1665, le gouvernement britannique prit possession des îles mais ce n'est qu'après deux siècles de gérance par la East India Company que la ville de Mumbai fut annexée par les Anglais, en 1818 et devint partie intégrante de leur Empire (Raj Britannique).


Trois siècles de développement ont transformé sept îles marécageuses en une véritable mégalopole, en croissance exponentielle, on ne peut plus cosmopolite et polyglotte. Si Delhi est le siège historique et politique de l'Inde et Calcutta un de ses plus fameux centres culturels, Bombay apparaît plutôt comme la ville de la mode, du cinéma et des affaires. L'expression, parfois fantaisiste, des richesses et du glamour indiens côtoie pauvreté et bidonvilles dans un climat chaud et humide, au bord de la mer d'Oman (Arabian Sea). La ville fait rimer boom économique et chaos social dramatique. Les fortunes les plus rutilantes croisent chaque jour sans la voir ou sans la regarder en face, la misère la plus rude. Des enfants nus et crasseux jouent près des Mercedes et autres voitures de luxe, garées au pied d'immeubles flambant neufs ou d'hôtels plus que luxueux ; des familles entières sont assises presque à chaque coin de rue ou lieu de passage, les plus jeunes font la manche au milieu d'hommes d'affaires en costume, mallette noire à la main, portable dans l'autre, chaussures en cuir fraichement cirées et de touristes, sac au dos. Et nous n'avons pas vu le pire ; la population la plus défavorisée et les bidonvilles ont été repoussés et cachés des places stratégiques et du centre-ville. Une poignée d'hommes d'affaires, fortunés, a aujourd'hui l'ambition de transformer la ville en une « vitrine de l'Inde moderne », à l'image de Shanghai en Chine, quel qu'en soit le prix, y compris humain... Bien sûr industries, banques, tourisme et commerce rendent la ville attractive et prospère : le salaire annuel moyen est de 48 000 roupies (environ 800 euros) soit 3 fois la moyenne nationale. Mais dans cette course folle beaucoup sont laissés sur le bord du chemin.


Situé à l'extrême sud de la ville, le quartier de Colaba, dans lequel nous avons décidé de nous installer, est plein de restaurants, de marchés et d'hôtels, plus ou moins luxueux. Tandis que Nicolas Sarkozy pour sa visite officielle à Mumbai s'installait au Taj Mahal Hôtel, l'hôtel le plus prestigieux d'Inde, face à la mer, à l'architecture d'inspirations islamique et Renaissance et coiffé d'un magnifique dôme, c'est au Carlton Hôtel que nous posions bagages et passerons trois nuits sans doute moins confortables et onéreuses mais charmantes. Un contraste de plus...


Bien installés donc, nous commençons à découvrir la ville et rencontrons tout d'abord un des ses monuments les plus symboliques. Marque du passé colonial indien dont la construction débuta en 1911 après la visite du roi George V, la Porte de l'Inde (Gateway of India) était le point d'arrivée de milliers d'Anglais. Cet arc de triomphe de basalte fut inauguré en 1924. 24 ans plus tard, l'Inde devenait indépendante et c'est sous cette porte même que le dernier régiment anglais quitta le pays. La Gateway of India est aujourd'hui un lieu de balade classique des habitants de Bombay, c'est aussi le point de départ des bateaux pour l'île d'Elephanta sur laquelle nous nous rendrons plus tard.


Imposante, exubérante, noire de monde, la gare principale de Mumbai (Victoria Terminus) est le plus extravagant des monuments gothiques de la ville, le coeur de son réseau ferroviaire et un aphorisme pour l'Inde coloniale. Comme le dit l'historien Christopher London, « Victoria Terminus est au Raj Britannique ce que le Taj Mahal est à l'empire Moghol ». Achevée en 1887, elle est aujourd'hui la plus active gare d'Asie ; y transitent chaque jour quelques 2,5 millions de voyageurs. Mélange des styles victorien, hindou et islamique, cette gare mixe également les cultures, riches et très pauvres, jeunes et moins jeunes. Aux heures de pointe, dans un train d'une capacité de 1800 personnes, s'en entassent plus de 7000.
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En marchant quelques heures, nous découvrons d'autres beaux monuments de l'époque britannique : la Haute Cour de Justice (High Court), l'Université de Bombay, la cathédrale Saint-Thomas ou encore l'imposant Chhatrapati Shivaji Maharaj Vastu Sangranhalaya qui sous cet angle ne sonne pas très anglais mais fut construit, à partir de 1905, pour saluer la première visite en Inde du Prince de Galles (futur George V) et mêle avec audace l'architecture du Gujarat (état au nord de Bombay, où naquit Gandhi) aux influences britanniques et orientales.


On se serait parfois presque cru à Londres, et même si beaucoup d'éléments nous relocalisent rapidement, nous nous sommes souvent demandé si l'on était toujours bien en Inde. Le « centre-ville » est propre et on semble y circuler aisément, feux tricolores, terre-pleins centraux, et passages piétons n'y étant pas pour rien. Taxis jaunes et noirs (dont le nombre est estimé à 40 000), bus rouges ou blancs, parfois à deux étages tels ceux de Londres et longs trains réguliers et rarement vides assurent le transport des habitants.


Comment visiter Bombay sans s'attarder, le temps d'un film, dans un de ses très nombreux cinémas. Nous avons choisi le cinéma Regal, au coeur de Colaba, un cinéma art-déco des plus classiques en Inde. Salle immense, sièges confortables, écran... géant ; le cinéma tient bel et bien une place de choix dans la vie des Indiens et à Bombay probablement plus encore. La salle, à l'allure d'un théâtre plus que d'un cinéma, se lève telle un seul homme lorsqu'avant que le film ne commence l'hymne national est joué, le drapeau indien flottant à l'écran. Dans ce pays, si morcelé il y a un siècle, mais qui, grâce à Gandhi a pris conscience de son unité et eu ainsi la force de se révolter contre la passivité et la soumission, et dont l'indépendance est finalement si récente (1947), cela ne me choque pas. Le peuple indien a lutté de manière pacifiste pour se libérer du pouvoir anglais, c'est de la même manière qu'ils montrent leur attachement à leur nation.


Au coucher du soleil, nous marchons jusqu'à Chowpatty Beach, une plage de sable blanc où règne une ambiance sereine. Cette plage fut, pendant les combats pour l'indépendance, un important lieu de meeting politique ; de ce fait, elle tient une place à part dans le coeur de la population. De nombreuses familles s'y retrouvent mais on ne s'y baigne pas, l'eau est vraiment glauque. Les déchets fleurissent un peu partout mais n'empêchent pas quelques enfants de jouer, au naturel.


Nous apprenons dans la soirée que la ville sainte de Varanasi (Bénarès) a été frappée par un attentat à la bombe causant la mort d'une fillette de 18 mois et blessant 37 personnes. Un groupe islamiste radical, les « Moudjahiddines indiens » revendiquent cette attaque dans un email qui aurait été envoyé depuis Bombay. Des mesures renforcées de sécurité sont décrétées dans la capitale et dans d’autres villes importantes du pays, dont Bombay.

Le lendemain matin, nous allons nous perdre dans les étroites allées du Crowford Market, une véritable attraction de la ville. 


En milieu de journée, nous embarquons pour l'île d'Elephanta, connue notamment pour ses grottes naturelles dans lesquelles furent sculptées, entre le Vième et le VIIIième siècle, un ensemble de figures et de scènes mythiques. A 9 kilomètres du centre-ville à vol d'oiseau, cette île touffue est donc certes incontournable pour ses temples séduisants creusés à même la roche mais offre également une alternative salvatrice à l'inconfort de la cacophonie urbaine. Le bateau défile d'abord devant un nombre impressionnant de petites îles aménagées en docks et s'éloigne lentement de la côte donnant alors à l'immense Mumbai, ses hauts immeubles, ses bateaux de pêche et ses navires de guerre, une dimension plus humaine. 


Originellement appelée Gharapuri mais rebaptisée Elephanta par les Portugais lorsqu'ils découvrirent dans le port de l'île une statue d'éléphant aujourd'hui disparue, l'île a avant tout été consacrée à Shiva, dieu de la Création et de la Destruction. Bien qu'à l'époque les Portugais aient semble-t-il exprimé leur esprit de tolérance religieuse en détruisant une bonne partie des sculptures, le site possède encore de beaux restes.


Plus tard, nous visitons l'une des curiosités de Bombay. Mahalaxmi Dhobi Ghat est la plus ancienne et la plus grande machine à laver (humaine...) de la ville. Chaque jour, des centaines d'hommes et de femmes nettoient des milliers de kilogrammes de linge sale. C'est du pont enjambant la voie ferrée reliant nord et sud que la vue est la meilleure ; il est interdit de photographier à l'intérieur du « ghat ».


Nous partons dans la nuit pour Goa et ses longues plages de sable fin. Notre bus qui en quinze heures allait rallier notre premier point de chute (Mapusa puis Baga, à 600 kilomètres environ) mis plus de trois heures à s'extirper des banlieues mumbaiennes, embouteillées et bouillonnantes.